Femmes SDF, femmes invisibles

La plupart du temps, quand on pense à la figure d’une personne sans domicile fixe, on a l’image d’un homme, blanc, un peu âgé, etc. En réalité, c’est aussi le profil qu’on croise le plus souvent dans la rue ou du moins, celui auquel on fait le plus attention. Cap sur le profil des femmes sdf

Femmes SDF vs l’image désuet d’un « sans-abri »

Bien loin de l’image d’Epinal qui associe les personnes sans-abri à un homme, un peu âgé, barbu sur un bout de carton, il y a aussi parmi les personnes SDF :

  1. La moitié qui sont des personnes nées à l’étranger
  2. Deux personnes sur cinq qui sont des femmes *1

Les femmes sans-abri sont donc nombreuses mais alors pourquoi ne les voit-on pas ?

Notion de genre : influence sur la trajectoire de vie

Tout d’abord faisons un petit point sur la notion de genre afin de mieux comprendre pourquoi les trajectoires des hommes et des femmes SDF sont différentes.

En écrivant On ne naît pas femme, on le devient.Simone de Beauvoir a mis en évidence la différence entre le sexe et le genre. Le sexe est un ensemble d’attributs biologiques souvent catégorisés de manière binaire entre féminins et masculins. Le genre quant à lui est une construction sociale liée à cette catégorisation de sexe.

La catégorie femmes et la catégorie hommes seraient alors :

  1. Différentes
  2. Complémentaires
  3. Hiérarchisées

Des rôles sont attribués selon les sexes

On a d’un côté la femme douce, la mère qui doit s’occuper des enfants et rester à la maison, dans l’espace privé, et de l’autre l’homme fort, le père qui fait figure d’autorité et subvient aux besoin de la famille en allant travailler, dans l’espace public.

Depuis quelques années, les lignes de ce schéma bougent de plus en plus et les situations aussi contrastées se font de plus en plus rares. On note toutefois que l’accès à l’espace public reste plus difficile pour les femmes qui en ont longtemps été écartées. Que ce soit dans les médias, en politique ou dans la rue, le constat est le même : on les voit moins.

Maintenant que vous maîtrisez la notion de genre, je vous invite à chausser vos lunettes du genre pour faire un tour d’horizon de la situation des femmes dans la rue.

Observation de la situation des femmes SDF

Les violences faites aux femmes SDF

Tout d’abord, il est plus fréquent que les femmes sans domicile fixe aient vécu des violences dans leur enfance.

  • 36% de femmes sans domicile déclarent avoir été victimes de violences durant leur enfance (19% d’hommes).*2
  • Parmi elles, beaucoup viennent d’un pays étranger duquel elles sont parties pour fuir un mariage forcé ou des mutilations génitales.
  • D’autres se retrouvent à la rue après avoir fuit les violences de leur conjoint.

Ainsi, les violences subies par les femmes à cause de leur genre sont un facteur d’entrée à la rue.

De plus, d’après tous les témoignages que nous pouvons recueillir auprès des concernées directement mais aussi des personnes qui travaillent dans des structures d’accueil, il semblerait que toutes les femmes sans domicile fixe subissent des violences pendant leur expérience à la rue.

On parle souvent de proies, teme utilisé par exemple par Myriam du Comité De La Rue Rennais. Elle nous explique qu’une femme à la rue est sans cesse à risque de se faire agresser. Il est courant que des hommes leur proposent un toit pour la nuit mais qu’elles se rendent compte une fois chez eux que ce n’est pas gratuit et que leur corps sert de monnaie.

Le genre femme est alors un facteur de vulnérabilité pour les personnes qui sont à la rue.

📅 Si vous voulez en savoir plus sur la vision de Myriam à propos des femmes en situation précaire, inscrivez-vous au grand témoignage : femmes et précarité . Il a lieu le mercredi 8 mars de 19h à 20h30.

La sécurité des femmes SDF

La hiérarchie des genres rend donc les femmes à la rue plus vulnérables que les hommes. Leur protection institutionnelle et personnelle les rend invisibles.

  • Elles se protègent en cachant leur corps dans des vêtements trop larges et en couvrant leur visage. Les femmes sans domicile sont aussi beaucoup plus en errance, c’est-à-dire qu’au lieu de rester toujours au même endroit, comme le font beaucoup d’hommes de la rue, elles changent de quartiers mais aussi de villes afin de ne pas être repérées.
  • Les institutions les protègent en faisant d’elles les prioritaires dans certains centres d’hébergement. La prise en charge des femmes est aussi plus efficace parce que ce sont elles qui sont en charge des enfants.
    • 52% des femmes sans domicile fixe ont des enfants
    • 9% des hommes sans domicile fixe ont des enfants

Parmi ces personnes :

  • 61% des femmes avec enfants sont seules
  • 12% des hommes avec enfants sont seuls *2

Les associations attribuent les hébergements les plus confortables aux personnes avec enfants, hommes ou femmes. Le rôle de parent étant associé aux femmes, le genre est aussi ici un facteur de protection. De ce fait, très peu de femmes sont sans-abri, c’est-à-dire n’ont aucune solution d’hébergement.

Les associations attribuent les hébergements les plus confortables aux personnes avec enfants, hommes ou femmes. Le rôle de parent étant associé aux femmes, le genre est aussi ici un facteur de protection. De ce fait, très peu de femmes sont sans-abri, c’est-à-dire n’ont aucune solution d’hébergement.

  • 38% des personnes sans domicile fixe sont des femmes.
  • 1% des femmes sans domicile fixe sont sans-abri. *3

Observation de la situation des femmes en précarité

L’emploi chez les femmes en précarité

Les femmes se trouvent aussi dans une situation délicate au regard de leur employabilité. Saviez-vous qu’elles représentent 70 % des travailleurs pauvres qui exercent un emploi procurant un revenu inférieur à 964 € mensuels ? Et qu’elles constituent 82% des emplois à temps partiel ?

Comment expliquer ces écarts ? Par leur situation personnelle dans bien des cas. Elles sont sur-représentées dans les familles monoparentales, puisque, dans neuf cas sur dix, ce sont des femmes seules avec enfants. *4 Avec des enfants à charge leur temps disponible pour travailler est réduit tandis que leurs dépenses sont plus importantes. Prises entre la nécessité d’avoir un revenu et l’éducation de leurs enfants, elles n’ont pas le choix d’opter pour des emplois à temps partiel, souvent précaires.

Les femmes précaires moins diplômées et qualifiées

Pour cette même raison, elles sont souvent moins diplômées et qualifiées que les hommes. Elles rejoignent des secteurs d’activité où la rémunération est peu élevée comme le service à la personne ou la grande distribution.

Mais ce n’est pas tout ! Leur comportement, fruit d’une intériorisation de certaines normes sociales, explique aussi cet écart d’employabilité. Les femmes ont un rapport complexe au réseau, pourtant essentiel dans une recherche d’emploi (étude BCG, Ipsos HEC, 2015). Elles n’osent pas l’activer, par peur d’être jugée utilitariste. Elles privilégient la qualité de leur travail, plutôt que leur capacité à établir des connexions.

L’importance du réseau

Or un réseau, c’est du soutien, de la mobilisation, de l’inspiration, des opportunités. Ce sont des personnes sur qui l’on peut compter pour relire son CV, être recommandé ou conseillé dans ses recherches, se préparer à un entretien, célébrer ses victoires, s’inspirer, partager ses doutes.

Les femmes en grande précarité ou en situation d’exclusion ont tout particulièrement besoin de ce réseau de soutien pour reprendre confiance face à l’emploi, dans leur recherche jusqu’à leur épanouissement en entreprise.

Ce constat est-il inéluctable ?

LinkedOut ainsi que d’autres acteurs de l’écosystème œuvrent pour contribuer à un changement de regard au sein des  entreprises. Nous accompagnons des managers, RH, collaborateurs à percevoir la richesse de chacun…et de chacune !

Petit à petit, j’ai appris à avoir confiance et à me dire que je pouvais y arriver. Et j’y suis arrivée ! Depuis juin 2022, j’ai un job, je peux inviter des amis au restaurant, je peux aller au cinéma. Et je suis fière de moi

Ange, ancienne candidate LinkedOut qui travaille aujourd’hui au Centre Social Cefia en tant que secrétaire chargée d’accueil.

Pour aller plus loin

Ainsi, *le genre a une grande influence sur la mise à la rue mais aussi sur l’expérience de la rue. Tantôt facteur de vulnérabilité, tantôt facteur de protection, il est difficile d’analyser la situation des femmes sans domicile sans les lunettes du genre.


Si les femmes sont moins nombreuses parmi les personnes sans domicile fixe et surtout les personnes sans-abri, elles forment toutefois le groupe de population le plus précaire. Cette situation s’explique par plusieurs facteurs que nous vous invitons à découvrir dans notre atelier de sensibilisation (1h30) à propos des femmes en situation de précarité à laquelle vous pouvez vous inscrire ici.

Si vous souhaitez en savoir plus à propos du vécu de Myriam et de sa vision de la précarité chez les femmes, nous vous invitons à assister au Grand témoignage du 8 mars 2023 auquel vous pouvez vous inscrire ici.


Sources

*1 : 28e rapport de la Fondation Abbé Pierre, État du mal-logement en France, 2023

*2 : Loison, Marie, and Gwenaëlle Perrier. « Les trajectoires des femmes sans domicile à travers le prisme du genre: entre vulnérabilité et protection. » Déviance et société 43.1 (2019): 77-110.

*3 : Braud, Rosane, and Marie Loison-Leruste. « Le sans-abrisme au féminin. Quand les haltes pour femmes interrogent les dispositifs d’urgence sociale. » Travail, genre et sociétés 1 (2022): 131-147.

*4 : Françoise Milewski, La précarité des femmes sur le marché du travail, Inégalités.fr (2006)

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