“Quand on est à la rue, il faut faire un choix entre manger ou acheter des protections périodiques”

En France, 38% des personnes sans-domicile fixe (INSEE, 2012) sont des femmes, soit potentiellement 190 000 personnes qui doivent gérer chaque mois leurs menstruations dans la rue, ou en situation d’accueil précaire.

En effet, en plus d’une difficulté d’accès à l’hygiène personnelle (douche, toilettes, laverie) commune à tous les sans-abri, s’ajoute chez les femmes un manque d’accès aux protections hygiéniques. Faute de moyens et de pouvoir se laver régulièrement, les règles sont pour ces femmes une réelle épreuve mensuelle. C’est ce que l’on appelle la précarité menstruelle, définie par le Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP) comme « les difficultés de nombreuses femmes et filles à se payer des protections hygiéniques à cause de leurs faibles revenus ». 

Lorsque de nombreuses et nobles initiatives sont aujourd’hui développées pour lutter contre la précarité menstruelle des étudiantes et femmes à faible revenus, peu de solutions sont actuellement proposées aux femmes sans-domicile sur ce sujet-là, qui se voient parfois obligées d’utiliser de vieux t-shirts pour se protéger… 

A l’occasion du mois des droits des femmes, nous avons échangé avec Louise, une jeune femme originaire de Rennes. Diplômée d’un Master en design, Louise a eu l’idée de créer Lula, un distributeur de serviettes hygiéniques automatique pour les femmes sans-domicile lors de ses études entre 2018 et 2021. Nous l’avons rencontrée afin qu’elle nous explique la genèse et le concept de ce distributeur qui facilitera sans aucun doute, lorsqu’il verra le jour, le quotidien de ces femmes si nombreuses mais réputées invisibles.

Entretien avec Louise, créatrice de Lula, un distributeur de serviettes hygiéniques pour les femmes sans-abri.

Peux-tu nous expliquer ton projet dans les grandes lignes ? 

Louise : Lula est un distributeur de serviettes hygiéniques automatique pour les femmes sans abri. L’idée, c’est de l’installer auprès des pharmacies pour pouvoir le repérer plus facilement de jour comme de nuit. Les femmes sans-abri pourront avoir accès à des serviettes hygiéniques, grâce à un badge contenant une puce RFID qui permettra d’activer le mécanisme de distribution.

Comment t’es venue cette idée ? 

Louise : J’ai un SOPK (Syndrome des Ovaires PolyKystiques) et pendant longtemps, je ne savais pas à quoi étaient liés mes symptômes et j’avais du mal à en parler. Quand l’occasion s’est présentée de choisir une direction pour mon projet Bachelor en troisième année, je voulais faire quelque chose autour des règles pour briser les tabous et me libérer de cette difficulté à m’exprimer sur le sujet des règles. Mais je ne voulais pas simplement me contenter de briser les tabous, je voulais aussi faire quelque chose d’utile.

Lorsque je me suis penchée sur les personnes qui n’avaient pas accès aux produits menstruels, j’ai constaté qu’il y avait des étudiantes, des personnes à faible revenu, mais également des sans abri que l’on oubliait. Et j’ai vu lors de mes recherches que de plus en plus de choses se développaient pour les étudiants, pour les personnes dans la précarité, mais pas forcément pour les personnes à la rue. Exceptées les maraudes où des produits d’hygiène sont distribués, l’accès aux serviettes et tampons est très compliqué. Et quand on est à la rue, il faut faire un choix entre manger ou acheter des protections périodiques. C’est pourquoi j’ai décidé d’orienter mon projet autour de la précarité menstruelle chez les femmes sans abri.

Qui as-tu rencontré pour guider ton projet ? 

Louise : Lors de mes recherches, j’ai contacté Gaële Le Noane, fondatrice de Marguerite & Cie. Elle lutte également contre la précarité menstruelle en installant ses distributeurs partout dans les écoles et les entreprises en France. Gaële m’a parlé d’Élina Dumont, ancienne sans-abri avec qui il pourrait être intéressant d’échanger sur le sujet. 

J’ai donc contacté Élina et j’ai profité d’être à Paris lors d’un stage pour pouvoir la rencontrer et l’interviewer sur sa vie de sans-abri et comment elle se débrouillait lorsqu’elle avait ses règles et qu’elle était à la rue. Lors de cette interview, j’ai également pu rencontrer Éric et avoir un point de vue masculin sur le sujet. J’ai appris énormément de choses que je ne connaissais pas sur la vie à la rue.

Et concrètement, comment fonctionne Lula ? 

Louise : D’un côté, on a les associations qui vont donner un badge nominatif aux femmes sans-abri qui sont dans le besoin. D’un autre, on a les pharmacies qui vont installer les distributeurs sur leurs façades et qui vont pouvoir de temps en temps venir recharger le dispositif. 

Ensuite, on a une femme qui a besoin de produits hygiéniques et qui se trouve dans la rue et qui a entendu parler du dispositif. Elle sait qu’elle peut trouver des serviettes hygiéniques auprès des pharmacies. Munie de son badge, elle aura juste à le passer devant le lecteur, ce qui va envoyer un signal au moteur qui va distribuer un paquet de serviettes. 

Enfin, une dimension intéressante avec ce projet, c’est qu’en le mettant à disposition dans la rue, cela va permettre de communiquer autour du sujet et de sensibiliser la population sur les tabous des règles, la précarité menstruelle et le sans-abrisme

Un message à faire passer à nos lecteur.ices pour conclure ? 

Louise : J’aimerais dire qu’en 2024, les règles ne devraient plus être un tabou. La recherche autour des règles concernant des maladies telles que le SOPK et l’endométriose n’est pas terminée et j’espère que la médecine va pouvoir évoluer. Les tabous ne font que ralentir l’exploration du sujet. Il faudrait pourquoi pas mieux informer les jeunes sur la façon dont fonctionne les règles et sensibiliser sur la précarité menstruelle.

Au cours de mon travail sur le projet, j’ai appris beaucoup de choses sur les personnes sans-abri et j’en ai encore beaucoup à apprendre. Les personnes à la rue ont toutes des parcours différents, mais ce sont des personnes comme vous et moi.

Contre la précarité menstruelle et le sans-abrisme, on peut tous agir à différentes échelles. En tant qu’école ou entreprise, on peut installer des distributeurs de serviettes hygiéniques et tampons dans les toilettes. En tant que citoyen, on peut faire des dons de produits d’hygiène féminine, s’engager dans une association, ou juste en parler dans son entourage.

L’ État et les industriels peuvent aussi agir grâce à des campagnes de communication, ou en réduisant le prix des protections périodiques. 

Que pouvons-nous faire en tant que riverains ?

Si vous voulez mieux comprendre ce que vivent les femmes en situation de précarité, vous pouvez participer à une heure de sensibilisation sur le thème “femmes et précarité”. De nombreuses dates en ligne ou en présentiel vous sont proposées sur l’application Entourage.

En tant que riverains, vous pouvez agir de multiples façons pour aider les femmes de la rue. Vous pouvez commencer par leur parler afin de rompre la solitude qu’elles s’imposent parfois par peur de la violence. Vous pouvez également constituer des kits d’hygiène à distribuer (gel douche, serviettes hygiéniques, dentifrice, etc.). Enfin, vous pouvez vous rapprocher de structures qui aident les femmes sans-abri. Pour en savoir plus, nous vous invitons à lire cet article dédié à la santé des femmes dans la rue.

Ombeline et l’équipe Entourage

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Pour agir et créer du lien avec les personnes SDF :

  • Téléchargez l’app Entourage (gratuite) > bit.ly/applientourage 
  • Consultez notre version en ligne > www.entourage.social/app

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