Mères sans-abri : au péril de la rue

Derrière ces enfants sans-abri, confrontés dès le plus jeune âge aux inégalités et à la grande pauvreté, il y a des parents, majoritairement des mères.

La parentalité à la rue est une question sensible et difficile. Chez les riverains, elle peut susciter aussi bien la tristesse et la pitié, que l’indignation et la colère. 

Dans cet article, nous essayerons donc de comprendre les multiples et complexes raisons qui conduisent une mère et ses enfants à vivre dans la rue. Nous verrons également certains des combats quotidiens auxquels ces familles sont confrontées, les impacts que cela peut avoir sur le lien social et la santé, ainsi que quelques pistes pour agir.


Les femmes ne représentent que 5% des personnes sans-abri. Cela s’explique par le fait qu’avoir des enfants facilite normalement l’accès à un hébergement de meilleure qualité. Et puisque 78% des chefs de famille – dans les ménages sans domicile avec enfants – sont des femmes, ces dernières dorment naturellement moins à la rue ou dans les centres d’hébergement collectif. 

Pour autant les « mères sans-abri » existent bel et bien. Comme évoqué précédemment, en octobre 2023, selon l’UNICEF, ils étaient 2 822 enfants restés sans solution d’hébergement suite à la demande de leur famille au 115, faute de places disponibles ou adaptées pour les accueillir. Parmi eux, près de 686 de moins de 3 ans..

Le profil de ces mères sans-abri n’est pas figé. Chacune a son histoire. Certaines sont étrangères et sans papiers, d’autres en rupture sociale et familiale, telles des jeunes femmes enceintes mises à la porte à l’annonce de leur grossesse, des femmes avec des troubles psychopathologiques, des mères isolées et endettées se retrouvant à la rue du jour au lendemain, des femmes battues fuyant la violence de leur conjoint… La liste est longue.


Traditionnellement, les femmes bénéficient d’une relative meilleure protection en tant que mères. Les institutions font d’elles une priorité leur attribuant dans la mesure du possible les hébergements le plus rapidement possible.

Toutefois, l’accroissement récent du nombre de femmes avec enfants à la rue conforterait l’hypothèse d’un affaiblissement de la protection que conférait le statut de mère isolée, comme le souligne la fondation Abbé Pierre. Une tribune du Monde3 parue en mars 2022 s’inquiète du nombre croissant de femmes à la rue, et particulièrement de femmes étrangères et sans papiers, enceintes ou avec enfants en bas âge. En Île-de-France, le taux de femmes sans-abri ayant accouché récemment est passé de 5,8% en 2010 à 22,8% en 2019, selon le dernier rapport de Santé publique France4.

S’il y a eu une création indéniable de places d’hébergement d’urgence et de logements accompagnés ces dernières années, avec près de de 200 000 places en centres d’hébergement au 31 janvier 2021 contre environ 83 000 en 20105, cela ne suffit pas pour pallier les besoins des plus précaires, notamment des familles. En effet, les dispositifs ne parviennent pas à répondre à la demande d’hébergement qui, parallèlement, ne cesse de progresser, et ce dans un contexte d’inflation, de crise du logement et de tension sur l’hébergement hôtelier. Ainsi, c’est au total 330 000 personnes qui sont sans domicile fixe en France en 2023, soit une augmentation de près de 130% depuis 2012, selon  la Fondation Abbé Pierre6.

Quoi qu’il en soit, cette fragilité du système d’hébergement français condamne aujourd’hui 2 822 enfants et leurs familles à dormir dans la rue ou tout autres lieux, les privant de conditions de vie dignes et sécurisantes.


Ces mères en situation de vulnérabilité sont soumises à une pression bien spécifique. Prise dans un système de survie, leurs priorités sont avant tout la sécurité et la nourriture de leurs enfants. Bien souvent, ces femmes se cachent, dans des cages d’escaliers ou dans des parkings, afin d’éviter les agressions. C’est la raison pour laquelle on les surnomme “les invisibles”. Elles peuvent aussi circuler dans le métro, les gares, les rues ou encore dans les salles d’attente des urgences en quête de nourriture pour leurs enfants. Elles font parfois la manche en famille. Acculées par les difficultés, certaines en viennent parfois à se prostituer. 

Le système de survie entraîne des conséquences sur la relation qu’elles tissent avec leurs enfants. L’absence de sécurité et de lien social ne favorise pas l’épanouissement du lien : souvent, elles parlent peu à leurs enfants et jouent encore moins avec eux. Cette douloureuse réalité entraîne de nombreuses carences dans le développement psycho-affectif et psychique des enfants. En 2014, les résultats de l’étude Enfams7 (Enfants et familles sans logement personnel en Île-de-France) réalisée par le Samu social de Paris a renforcé ce constat : les enfants hébergés au 115 manifestent des troubles émotionnels (27 %), des troubles du comportement (24 %), des troubles d’inattention/hyperactivité (18 %) et des troubles relationnels (10 %).


En plus des besoins inhérents à la condition de personne sans-abri, comme le lien social, l’accès à la nourriture ou aux vêtements, et des besoins spécifiques des femmes (produits d’hygiène, violences verbales, sexuelles et physiques : cf. article Femmes SDF, femmes invisibles), s’ajoutent des besoins propres aux familles à la rue, notamment sur des questions de santé et d’accès à l’éducation

En effet, ce qui semblait inconcevable il y a quelques années est aujourd’hui bien réel : en 2019, Gilles Petit-Gats, directeur de la Coordination de l’Accueil des Familles Demandeuses d’Asile (CAFDA), a dénombré “146 bébés nés dans la rue, alors qu’ils n’étaient que 100 en 2018 et 49 en 2017. » En effet, pour diverses raisons, les femmes sont nombreuses à ne pas pouvoir accoucher dans des maternités, ou à pouvoir y rester après la naissance. Si bien que des femmes, appelées “accoucheuses de rue”, sillonnent les quartiers pour aider ces mères sans-abri et sorties des radars à mettre leurs enfants au monde là où elles sont, dans des squats ou des parkings souterrains par exemple. 

Parallèlement, des structures, comme les centres départementaux de Protection maternelle et infantile (PMI), et des associations se mobilisent pour accompagner les femmes enceintes et les mamans en situation de grande précarité dans leur maternité. C’est le cas de l’association Un petit bagage d’amour qui leur permet d’avoir le nécessaire pour accueillir leurs bébés dans la dignité.

Malgré l’engagement de ces personnes dévouées, les statistiques de morbidité périnatale témoignent d’une réalité alarmante : la précarité sociale provoque trois fois plus de naissances avant terme, deux fois plus de nouveau-nés en sous-poids et deux fois plus de césariennes en urgence, toujours selon l’étude Enfams.

Demeure en outre la délicate question autour de la santé mentale de ces mères. L’angoisse, le mouvement permanent et l’absence de lien social favorisent le développement des troubles anxio-dépressifs ou de stress post-traumatique. L’accompagnement de ces femmes et mamans est un véritable enjeu de santé publique, et devrait être une priorité, avec notamment la mise en place de programmes adaptés associant prévention, accès au logement et soins médico-sociaux.

Enfin, ces mères doivent être sensibilisées sur tous les sujets touchant à leur maternité : depuis la rééducation du périnée jusqu’aux besoins fondamentaux des enfants en matière de lien mère-enfant et de sécurité émotionnelle. Des structures travaillent en ce sens avec les mères en grande précarité. C’est le cas de La Maison Bleue, CHU de l’association Aurore, qui accueille des femmes enceintes ou sortant de maternité. Elle leur donne la possibilité, le lieu, le temps et les moyens de se poser et les accompagne jusqu’à leur accou­chement et au-delà, en leur garantissant un cadre serein et sécurisant, propice à l’émergence d’un statut de parent.


1- Alerter

Dès que vous apprenez qu’une famille est à la rue, vous pouvez appeler, en sa présence, avec son consentement et avec le téléphone d’un membre dans l’idéal, le 115 pour joindre le SIAO (Service intégré de l’accueil et de l’orientation). C’est ce service qui oriente les familles vers un hébergement d’urgence auquel elles ont droit. Il faut savoir que cette démarche peut être longue, il faut parfois appeler plusieurs fois avant d’obtenir une réponse. N’hésitez pas à attendre avec la famille, et profitez de ce temps pour lui parler afin de récolter certaines informations dont le SIAO aura besoin pour comprendre la situation et aider la famille (depuis combien de temps est-elle à la rue ? Combien sont-ils ? etc.)

2- Maintenir le lien social

L’isolement social est souvent cité comme l’une des principales souffrances des personnes à la rue. Lorsque vous croisez une famille à la rue, vous pouvez vous arrêter discuter avec elle, demander ce dont elle a besoin, et pourquoi pas jouer avec les enfants ! Par ailleurs, voici une vidéo qui vous explique comment réagir face à certaines situations particulières lorsque vous croisez une personne à la rue.

3- Repérer les adresses utiles

Afin d’orienter la famille vers les bonnes adresses (santé, nourriture, vêtements, logement, laverie, bagagerie…), vous pouvez utiliser la carte des lieux solidaires près de chez vous, disponible sur notre application Entourage.

4- Signaler

Si vous considérez qu’un enfant est en danger, vous pouvez réaliser un signalement auprès du 119. Ce numéro de téléphone est un service national gratuit pour l’enfance en danger. Le service est joignable 24h/24 et 7j/7. L’auteur du signalement peut rester anonyme s’il le souhaite. Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants d’un appel auprès du 119, c’est par ici !

Ombeline et l’équipe Entourage

  1. TRIBUNE – Agir pour en finir avec le sans-abrisme des enfants : un devoir commun, 17 octobre 2023, UNICEF ↩︎
  2. 28e rapport de la Fondation Abbé Pierre, État du mal-logement en France, 2023, Fondation Abbé Pierre ↩︎
  3. TRIBUNE – « En France, le nombre de femmes sans papiers enceintes ou avec enfants en bas âge à la rue ne cesse de croître », novembre 2022, Le Monde ↩︎
  4. Enquête nationale périnatale : rapport 2021, Santé publique France ↩︎
  5. Enquête ES-DS, 2021, Drees ↩︎
  6. 29e rapport sur l’état du mal-logement en France, Fondation Abbé Pierre, janvier 2024, Fondation Abbé Pierre ↩︎
  7. Rapport d’enquête ENFAMS, octobre 2014, Samu Social de Paris ↩︎

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